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Le roi qui ne s’est pas incliné...

P. Thomas Rosica

Tuesday, November 20, 2012

Solennité du Christ Roi de l'univers - 25 novembre, 2012
Daniel 7,13-14; Apocalypse 1,5-8; Jean 18,33b-37
L’année liturgique se termine aujourd’hui avec la fête du Christ Roi de l’Univers. Dans la scène poignante du procès de Jésus devant Pilate (Jean 18,33-37), ressort le contraste entre le pouvoir et le renoncement au pouvoir.
En se tournant vers les Romains pour que Jésus soit crucifié, les autorités juives accomplissent la prophétie selon laquelle il devait être exalté (Jean 3,14;12,32-33). Pilate demande à Jésus : « Es-tu le roi des Juifs? » (v. 33) L’accusé répond en soulevant une question préalable, qui provoque le fonctionnaire romain : « Dis-tu cela de toi-même, ou bien parce que d’autres te l’ont dit? » (v. 34)
L’arrogance de Pilate n’intimide pas Jésus, qui lui répond finalement par les mots bien connus : « Mon royaume n’est pas de ce monde » (v.36). Et il en donne la raison : « Mon royaume n’use pas de coercition, il n’est pas imposé ». Jésus réitère son point de vue : « Non, mon royaume n’est pas de ce monde. »
Pilate est astucieux. La réponse de Jésus, il le voit bien, ne nie pas sa royauté. Pilate insiste donc : « Alors, tu es roi? » (v. 37). Jésus accepte l’assertion sans hésiter : « Tu l’as dit, je suis roi. C’est pour cela que je suis venu dans le monde ».
Pour quoi faire? Pour inaugurer un monde de paix et de fraternité, de justice et de respect des droits d’autrui, d’amour de Dieu et du prochain. Voilà le royaume qui entre dans notre histoire humaine, en l’éclairant et en la dépassant, un royaume qui n’aura pas de fin. Quand nous récitons le Notre Père, nous prions entre autres pour que ce royaume vienne dans sa plénitude.
Dans cette scène de l’Évangile, Pilate le leader semble profondément perplexe face à la Vérité. Qu’y a-t-il de Pilate à l’intérieur de chacun de nous? Qu’est-ce qui nous empêche d’être libres? Quelles sont nos peurs? Quelles sont nos étiquettes? Quels costumes, quels masques portons-nous en public et cherchons-nous à conserver à tout prix? Jusqu’à quel point sommes-nous capables de négliger et de piétiner les autres pour sauver les apparences, un emploi, un personnage, notre respectabilité ou notre réputation?
Le Royaume de Jésus
Le quatrième Évangile met l’accent sur la royauté du Christ. Le cœur du message de Jésus est le Royaume de Dieu et le Dieu de Jésus Christ est le Dieu du Royaume, celui qui a un verbe dont l’implication dans l’histoire de l’humanité inspire l’image du royaume. Au royaume de Jésus, on ne distingue pas entre le religieux et le profane mais entre la domination et le service.
Le royaume de Jésus est différent de celui que connaît Pilate et dont il fait partie bon gré mal gré. Le royaume de Pilate, comme le royaume romain d’ailleurs, fut celui de l’arbitraire, des privilèges, de la domination et de l’occupation. Le royaume de Jésus est fondé sur l’amour, la justice et la paix.
Jésus proclame le Royaume de Dieu, le royaume de la sainteté et de la grâce, de la justice, de l’amour et de la paix. Ce royaume est l’objectif ultime de Dieu et le but de tout ce qu’il fait depuis l’origine. C’est son dernier geste de libération et de salut. Jésus parle de ce royaume comme d’une réalité à venir, mais cette réalité est déjà mystérieusement présente dans son être, dans ses gestes et ses paroles et dans son destin personnel.
Si la fête du Christ-Roi met mal à l’aise certains d’entre nous, n’est-ce pas bien plus à cause de nos désillusions face aux rois de la terre et aux dirigeants de ce monde qu’à cause de la royauté de Jésus? La royauté et le leadership du Fils de Dieu refusent rang et privilège, et toute tentative pour devenir maître du monde. En lui il n’y a ni convoitise, ni cupidité ni soif de pouvoir. Lui, le roi innocent qui n’exécute personne, est lui-même exécuté. Son règne renverse complètement notre conception de la royauté terrestre. Sa royauté est celle du service ultime, où l’on donne sa vie pour les autres.
Dans l’Évangile de Jean, Jésus va à sa mort comme un roi. La crucifixion est l’intronisation de Jésus, l’expression ultime du service royal. À cause du Christ, la souffrance ne conduit plus à la mort mais à la vie éternelle. Rares sont ceux qui peuvent se mesurer à la stature royale de Jésus, et renoncer à toute forme de pouvoir face aux puissants. Plusieurs d’entre nous résistent avec énergie, même si nous ne pouvons mettre en œuvre que des formes subtiles de pression et de manipulation. Jésus, lui, n’a jamais répondu à la violence par la violence.
Les deux couronnes
La fête du Christ Roi de l’Univers a une signification particulière pour moi depuis que j’ai vécu au couvent Ecce Homo, au Centre des Sœurs de Sion sur la Via Dolorosa, dans la vieille ville de Jérusalem, quand je faisais mes études en Écriture Sainte. L’ensemble du complexe a été construit sur ce qu’on croit être le prétoire de Ponce Pilate, le décor de la rencontre entre Jésus et Pilate.
Les lieux saints à Jérusalem, qui rappellent des événements de la vie, de la passion et de la mort de Jésus, ont souvent deux fêtes au cours de l’année, pour célébrer l’aspect joyeux ou l’as- pect douloureux de la vie de Jésus. Les fêtes « patronales » du Centre Ecce Homo sont la fête joyeuse du Christ-Roi à la fin de l’année liturgique et la fête douloureuse de Jésus couronné d’épines le premier vendredi du Carême.
Deux fêtes, deux couronnes, deux images du Seigneur Jésus placées devant la communauté chrétienne pour qu’elle les médite et s’en inspire.
La fête du Christ-Roi nous présente l’image du Christ couronné d’abord d’épines, puis de laurier, la couronne du vainqueur, la couronne de gloire toujours verdoyante. Le jour de notre baptême, la couronne de notre tête a été enduite de l’huile sainte du Saint-Chrême, cette huile royale qui fait de nous un autre Christos, un autre Oint. Nous avons le pouvoir de vivre fidèlement et d’aimer farouchement comme Jésus. La couronne de gloire du Christ est promise à chacun de nous.
Quelle couronne se trouve au centre de notre foi et de notre témoignage?
Qui, sinon le Sauveur condamné?
Jésus a répondu aux questions du gouverneur romain en se déclarant roi, mais pas de ce monde (cf. Jean 18,36). Il n’est pas venu régner sur les peuples et les territoires, mais libérer les gens de l’esclavage du péché et les réconcilier avec Dieu. Il déclare : « Je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci : rendre témoignage à la vérité. Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. » (Jean 18,37)
Quelle est cette « vérité » dont le Christ est venu témoigner dans le monde? Toute sa vie révèle que Dieu est amour : voilà la vérité dont il témoigne jusqu’au sacrifice complet de sa propre vie sur le Calvaire. Jésus a établi le Royaume de Dieu une fois pour toutes sur la croix. Le chemin est long pour atteindre ce but et il n’y a pas de raccourcis : chaque personne doit accepter librement la vérité de l’amour de Dieu.
Dieu est Amour et Vérité, et ni l’amour ni la vérité ne sont jamais imposés. Ils frappent doucement à la porte de notre esprit et de notre cœur, et ils attendent qu’on leur ouvre et qu’on leur souhaite la bienvenue. Mais souvent, nous avons peur d’ouvrir à de tels hôtes dans nos vies et dans nos royaumes terrestres, vu les graves conséquences qu’entraînent des dons comme ceux-là. Nombre d’entre nous résistent vigoureusement à la Vérité alors que d’autres ont recours à des formes raffinées de pression et de manipulation pour la contenir.
En contemplant le Christ crucifié, nous comprenons un peu pourquoi le Christ reste un roi, même à notre époque : il ne s’est jamais incliné. Celui qui était la Vérité incarnée ne s’est jamais imposé à d’autres. Il s’est tenu à la porte, il a frappé et il a attendu. Jamais il n’a répondu à la violence par la violence.
À la fin du Chemin de Croix au Colisée de Rome, le Vendredi saint de l’année jubilaire 2000, le bienheureux pape Jean-Paul II prononça ces paroles émouvantes :
Qui, sinon le Sauveur condamné, peut pleinement comprendre la douleur de ceux et celles qui sont injustement condamnés?
Qui, sinon le Roi bafoué et humilié, peut répondre aux attentes de nombreux hommes et des femmes qui vivent sans espérance et sans dignité?
Qui, sinon le Fils de Dieu crucifié, peut connaître la douleur et la solitude de tant de vies brisées et sans avenir?
Jésus a emporté ses blessures au ciel, et il y a au ciel un endroit pour nos blessures parce que notre roi y porte les siennes dans la gloire.
En ce dernier dimanche de l’année liturgique, notre Roi crucifié se tient au milieu de nous, les bras tendus par la miséricorde et l’amour accueillant. Ayons le courage de lui demander de se souvenir de nous dans son royaume, la grâce de l’imiter dans nos propres royaumes terrestres, et la sagesse de lui ouvrir quand il vient frapper à la porte de notre vie et de notre cœur.
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