Réflexion biblique pour le cinquième dimanche du Temps ordinaire A
Jésus de Nazareth est un grand pédagogue et un merveilleux conteur. Je le vois d’ici enseigner et prêcher à ses jeunes amis, assis à flanc de coteau, au bord de la mer de Galilée, en un lieu retiré ou dans le temple de Jérusalem. Pour son enseignement et sa prédication, il tire parti de tout ce qu’il trouve autour de lui et il sait mieux que personne mettre en valeur la condition humaine et le monde créé. Ces qualités de Jésus ressortent clairement de l’Évangile d’aujourd’hui, qui est la suite du Sermon sur la montagne dans l’Évangile de Matthieu [5,13-16]. Pour mieux faire saisir la portée du passage évangélique d’aujourd’hui, je me permets d’évoquer deux expériences personnelles qui m’ont aidé à le comprendre : la première date de mes années d’étude en Terre sainte et la seconde remonte à l’époque où j’étudiais l’histoire de l’art en France.
Ce qu’est le sel de la terre
Dans l’ancien monde biblique, le sel était un produit précieux. Il relevait les aliments en leur donnant du goût; c’était un agent de conservation important; et, par ailleurs, il donnait soif, il faisait désirer autre chose. Jésus veut voir ses disciples donner au monde du goût et de l’élan en diffusant son enseignement, conserver la vérité qu’il est venu proclamer au monde et amener le monde à en redemander.
Pendant mes études à l’École biblique de Jérusalem, j’ai le souvenir très vif d’un voyage plutôt dangereux, de Jérusalem à Naplouse (le « Sichem » biblique), pour aller visiter le puits de Jacob. Le long d’une route qui serpentait dans la montagne, Ali, notre chauffeur de taxi palestinien, nous indiquait les fours en argile qui flanquaient de nombreuses maisons palestiniennes. Ali nous a expliqué que bien des gens préfèrent se servir de ces fours plutôt que de leur cuisinière électrique ou de leur réchaud au gaz propane. Ces fours remontent à l’antiquité : en fait, à l’époque biblique, chaque village disposait d’un four collectif. Nous nous sommes arrêtés pour saluer des familles qui vendaient leur pâtisserie le long de la route et nous avons pu savourer le pain pita encore chaud, tout frais sorti des fours en argile.
En araméen et en hébreu ancien, les langues que parlait Jésus, un même mot désignait le « four en argile » et « la terre ». Au lieu d’employer du bois pour alimenter le feu, les jeunes gens du village ramassaient du crottin d’âne ou de chameau, qu’ils mélangeaient à du sel pour en confectionner des briquettes qu’on faisait sécher sous le soleil brûlant du Proche-Orient. Aujourd’hui encore, en bien des endroits, ces briquettes de fumier servent de combustible. On dépose une plaque de sel à la base du four et on place les briquettes par-dessus; le sel a des propriétés catalytiques qui favorisent la combustion du crottin. Après un certain temps, toutefois, le sel perd de sa force catalytique et devient inutile. J’ai vu de mes yeux de ces briquettes exposées au soleil sur les toits et sur les murs le long de la route de Naplouse. J’ai compris ce jour-là ce dont parlait Jésus quand il disait : « Si le sel se dénature, il n’est plus bon à rien : on le jette dehors et les gens le piétinent » [5,13].
À l’époque biblique, le sel était un des produits les plus nécessaires à la vie. Il servait à conserver et à assaisonner la nourriture. Et en plus de servir à l’alimentation, le sel était répandu sur les sacrifices – tant sur les offrandes de céréales que sur la viande offerte en holocauste. On l’utilisait pour conclure un pacte (une alliance) et pour prendre un engagement : « Tu n’omettras pas de mettre sur ton oblation le sel de l’alliance de ton Dieu; à toute offrande tu joindras une offrande de sel » [Lévitique 2,13].
L’Ancien Testament parle même d’une « alliance de sel » : « Tous les prélèvements que les enfants d’Israël font pour Yahvé sur les choses saintes, je te les donne, ainsi qu’à tes fils et à tes filles, en vertu d’une loi perpétuelle; c’est là une alliance de sel pour l’éternité devant Yahvé, pour toi et pour ta descendance avec toi » [Nombres. 18,19]. L’ « alliance de sel » désigne une relation permanente; partager le sel avec quelqu’un engage la loyauté. C’est ce à quoi fait allusion l’évangéliste Marc quand il écrit : « Ayez du sel en vous-mêmes et vivez en paix les uns avec les autres » [Marc 9,50]. On prenait aussi du sel afin d’en frictionner les nouveau-nés, pour des raisons médicinales ou autres, comme dans l’espoir de les préserver des forces démoniaques.
Si le sel perd sa saveur
L’idée que « le sel perde sa saveur » est un peu difficile à saisir aujourd’hui, vu la pureté du sel que nous utilisons. À l’époque de Jésus, on ne raffinait pas le sel comme nous le faisons; on l’extrayait des dépôts qui se formaient par évaporation sur les rives de la mer Morte. Ce sel était exposé aux éléments; il pouvait se fragmenter et perdre sa saveur. Un sel comme celui-là offre à Jésus une excellente métaphore de la ferveur du disciple qui peut, avec le temps, manquer de tonus s’il ne se soucie pas de l’entretenir.
Quand Jésus dit à ses disciples qu’ils sont « le sel de la terre », il fait allusion aux différentes propriétés du sel évoquées ci-dessus. Les disciples peuvent assaisonner ce qui est fade, préserver ce qui risquerait de se détériorer et exprimer leur loyauté dans le respect d’une alliance ou d’un pacte. Les disciples de Jésus parlent bien : « Que votre parole soit toujours bienveillante, pleine de force et de sel, sachant répondre à chacun comme il faut » [Colossiens 4,6]. Pour être le sel de la terre-four, il faut porter le feu en soi – embraser ce qui nous entoure, faire en sorte que la lumière brille d’une flamme éclatante. Si nous le faisons en tant que ses disciples, nous serons aussi « lumière du monde ». Nous voyons que les deux images du sel et de la lumière s’articulent admirablement l’une à l’autre. Jésus se révèle être un maître habile et imaginatif : il sait communiquer à ceux et celles qui l’entourent saveur, élan, vie et lumière.
La couleur et la lumière
En plus d’appeler ses disciples à être sel de la terre, Jésus leur demande d’être lumière du monde. Dans le fameux sermon prononcé à flanc de montagne en Galilée, Jésus communique sa lumière à ceux qui le suivent : « Vous êtes la lumière du monde. » Jésus est la lumière du monde. Il nous appelle à être cette lumière.
Pendant l’été que j’ai passé en France comme étudiant de premier cycle, à la fin des années 70, je me souviens qu’un cours d’histoire de l’art nous a conduits dans une petite ville médiévale des plus pittoresques, Moret-sur-Loing, en Seine-et-Marne, pas très loin des villes de Paris et de Sens. Cette jolie petite ville fut une source d’inspiration pour de grands peintres français tels Manet, Monet, Renoir, Cézanne, Sisley et Degas. Qui n’est pas touché par la beauté envoûtante d’une toile de Monet ou de Manet, où nous voyons la lumière modifier notre regard et transformer littéralement le monde qui nous entoure?
Ces cours d’été mémorables et la visite du jeune universitaire que j’étais alors à Moret-sur-Loing allaient m’introduire à l’impressionnisme. J’entends encore notre professeur d’histoire de l’art, déjà âgé et très français, nous donner son cours dans la langue de Molière alors que nous étions assis sur les rives de la rivière qui traverse la ville : « Rappelez-vous que l’impressionnisme n’est qu’affaire de couleur et de lumière. L’artiste utilise la lumière pour faire ressortir la couleur, pour lui donner vie. »
La lumière dissipe les ténèbres, elle réchauffe tout ce qu’elle touche, elle libère les formes. Tout cela survient à la vitesse de l’éclair. Être la lumière du monde, ça veut dire pour les chrétiens diffuser partout la lumière qui vient d’en haut. Ça veut dire combattre les ténèbres nées du mal et du péché, causées souvent par l’ignorance, les préjugés et l’égoïsme. Plus nous regardons le visage de Jésus, un peu comme une toile impressionniste, plus nous voyons la lumière et plus sommes transfigurés par elle.
Que votre lumière jaillisse comme l’aurore
La première lecture, tirée du prophète Isaïe [58,7-10], nous rappelle que Dieu ne se satisfait pas d’un culte purement extérieur; il exige aussi la sincérité du cœur. Isaïe précise le genre de jeûne que le Seigneur attend de nous. Il incite ses auditeurs à « faire disparaître le joug, le geste de menace, la parole malfaisante » pour « donner de bon cœur à celui qui a faim et combler les désirs du malheureux ». Car ainsi « ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera comme la lumière de midi ».
Il y a des tas de raisons qui peuvent nous amener parfois à serrer le poing au lieu d’ouvrir la main : blessure et déception, fatigue et indifférence, crainte et malentendu, égoïsme et mépris. Quelle que soit la raison, le poing fermé revient toujours à se détourner des siens, à nier en fait qu’ils soient de la famille. La main ouverte, au contraire, c’est se tourner vers l’autre comme vers quelqu’un de la famille : un compagnon, une compagne d’humanité, frère, sœur, enfant du même Père céleste et partageant un même appel à faire partie du peuple des Béatitudes.
Par leurs gestes, les disciples sont censés exercer une influence positive sur le monde. Ils ne peuvent pas plus passer inaperçus qu’une ville sise sur une montagne. Si leurs bonnes œuvres ne font pas le poids, ils sont aussi inutiles qu’un sel dénaturé ou une lampe dont on a masqué la lumière. En nous invitant à être « lumière », Jésus nous invite à le rendre présent dans le monde. La présence du sel et de la lumière ne peut rester cachée, et leur absence sera aussitôt remarquée ; de même, il est impossible de nier la bonté de ceux et celles qui font le bien. Les bonnes œuvres pratiquées par la main ouverte ont un éclat resplendissant qui poussent les gens à rendre gloire à Dieu pour la sainteté qui transparaît en ses créatures.
L’importance d’expliquer l’Écriture
En poursuivant notre réflexion sur Verbum Domini à la lumière de l’Évangile d’aujourd’hui, examinons le numéro 74 de l’Exhortation post-synodale sur la Parole de Dieu dans la vie et la mission de l’Église.
Dimension biblique de la catéchèse
Un temps important de l’animation pastorale de l’Église, où l’on peut avec sagesse redécouvrir le caractère central de la Parole de Dieu, est la catéchèse qui, dans ses diverses formes et phases, doit toujours accompagner le Peuple de Dieu. La rencontre des disciples d’Emmaüs avec Jésus décrite par l’évangéliste Luc (cf. Lc 24, 13-35) représente, en un certain sens, le modèle d’une catéchèse au centre de laquelle se trouve «l’explication des Écritures», que seul le Christ est en mesure de donner (cf. Lc 24, 27-28), en montrant leur accomplissement dans sa personne. C’est ainsi que renaît l’espérance, plus forte que tout échec, qui fait de ces disciples des témoins convaincus et crédibles du Ressuscité.
Dans le Directoire général pour la catéchèse, nous trouvons des indications précieuses pour l’animation biblique de la catéchèse et j’y renvoie volontiers. Ici, je désire surtout souligner que la catéchèse «doit s’imprégner et se pénétrer de la pensée, de l’esprit et des attitudes bibliques et évangéliques par un contact assidu avec les textes eux-mêmes; ce qui veut aussi rappeler que la catéchèse sera d’autant plus riche et efficace qu’elle lira les textes avec l’intelligence et le cœur de l’Église» et qu’elle s’inspirera de la réflexion et de la vie deux fois millénaire de l’Église. On doit encourager de cette façon la connaissance des figures, des événements et des expressions fondamentaux du texte sacré; à cette fin, une mémorisation intelligente de certains passages bibliques – particulièrement ceux qui parlent des Mystères chrétiens – peut aussi être profitable. L’activité catéchétique implique toujours de rapprocher les Écritures de la foi et de la Tradition de l’Église, de sorte que ces paroles soient perçues comme vivantes, tout comme le Christ est vivant aujourd’hui là où deux ou trois se réunissent en son nom (cf. Mt 18, 20). Elle doit communiquer de façon vitale l’histoire du salut et les contenus de la foi de l’Église, afin que tout fidèle reconnaisse que son contexte personnel de vie appartient aussi à cette histoire.
Dans cette perspective, il est important de souligner le lien entre la Sainte Écriture et le Catéchisme de l’Église catholique, comme l’a affirmé le Directoire général pour la catéchèse: «En effet, l’Écriture Sainte, "Parole de Dieu mise par écrit sous l’inspiration de l’Esprit Saint″ et le Catéchisme de l’Église catholique, expression actuelle de la Tradition vivante de l’Église et norme sûre pour l’enseignement de la foi, sont appelés, chacun à sa façon, et selon son autorité spécifique, à féconder la catéchèse dans l’Église contemporaine».