Le récit émouvant de l’évangile de ce dimanche (Jean 8, 1-11) relate l’épisode de la femme adultère en deux scènes très vives : dans la première, nous sommes témoins d’une discussion entre Jésus, les scribes et les pharisiens au sujet d’une femme prise en flagrant délit d’adultère qui, selon les prescriptions du Lévitique (20, 10), devait être lapidée ; dans la seconde, d’un bref mais émouvant dialogue entre Jésus et la femme pécheresse.

Aucun autre événement de la vie de Jésus n’illustre plus clairement le triomphe de la miséricorde sur la justice que ce récit. Deux aspects nous intriguent : le premier c’est que cette histoire de Jean est absente de la plupart des manuscrits anciens grecs et n’est certainement pas à sa place dans le quatrième évangile. Le style et le langage semblent plus proches de celui de Luc que de celui de Jean.
Les seuls mots qui ne sont pas communs dans l’évangile de Jean incluent « Le Mont des Oliviers » (8, 1), « Les scribes » (8, 3) et « Je condamne » (8, 11), tous les autres mots se trouvent très communément dans les évangiles synoptiques. Les mots et phrases comme « Tout le monde » (8, 2) et « les scribes et les pharisiens » (8,3) sont plus communs à Luc. Cependant, en dépit du fait de la présence de ces mots de Luc dans cette histoire, il s’y trouve aussi des phrases non-lucaniennes qui suggèrent un texte non-lucanien.
D’autre part, quelques paroles de ce récit ne se trouvent nulle part ailleurs dans les évangiles : « en action » (8, 4), « sans péché » (8, 7) et « resta seul » (8, 9). Il n’y a aucun doute que le langage de ce récit le rend unique à l’intérieur du Nouveau Testament.
Jésus est-il indulgent vis-à-vis du péché ?
Des biblistes ont senti que l’Église primitive, ayant eu une attitude sévère envers l’adultère, fut embarrassée par l’étendu de miséricorde de Jésus et avaient de la difficulté à y croire. Serait-ce la raison pour laquelle pendant tant d’années, le récit de la femme adultère ait été mis de côté dans l’évangile de Jean ? Ce récit fut probablement transmis oralement, les scribes ne voulant pas que cette histoire soit perdue.
Une lecture attentive de Jean 8 montre que Jésus n’est pas indulgent vis-à-vis du péché. Au contraire, sa compassion et son pardon envers la pécheresse l’ont poussé à la mettre au défi « désormais ne pèche plus ». La position de Jésus devant cette femme reste un appel permanent et un défi pour ses disciples et pour l’Église à travers les âges.
Le second aspect intrigant de ce récit, c’est que l’histoire de la femme présente la seule occasion dans tous les évangiles où Jésus est montré en train d’écrire sur le sol. Qu’est-ce qu’il a pu écrire – pas une fois, mais deux ? J’aimerais récupérer son message, et l’utiliser comme modèle constant de la manière de faire face aux pécheurs. Son message aurait pu être le meilleur manuel pratique pour la confession que les confesseurs aient pu avoir.
Une tendance à sortir la miséricorde de Jésus hors de son contexte, voudrait étouffer les attitudes miséricordieuses et clamer que Jésus est trop indulgent avec les pécheurs. Une autre tendance serait de nier complètement l’existence du péché, la nécessité de se convertir et le cadeau du pardon de Dieu. Aucune de ces tendances n’est juste. Nier notre propension à pécher et nos ouvertures à la grâce de Dieu et au pardon c’est nier le message de Jésus Christ.
En tant que catholiques adultes et ministres en pastorale, nous avons un rôle énorme à jouer pour déterminer quelle tendance va prévaloir. Nous sommes chacun invités à transmettre la tradition d’une église et d’une communauté de foi remarquable pour sa clarté, sa tendresse et sa miséricorde.
La qualité et l’étendue du pardon
Alors que la semaine sainte et le combat final du Seigneur Jésus approchent, celui-ci devient de plus en plus impliqué dans une contestation avec les autorités locales et devient une menace croissante envers leur autorité. Dimanche prochain, nous verrons là où cette spirale mène… au Calvaire et à la croix. L’évangile d’aujourd’hui démontre d’une manière particulière et spectaculaire la qualité et l’étendue du pardon. Le péché peut être terrible mais les pécheurs sont toujours aimés.
La femme adultère est amenée devant Jésus par les scribes et les pharisiens, dans le but de le forcer à donner un jugement selon la loi de Moïse. La première réplique de Jésus aux accusateurs de la femme, « Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre. », nous donne un aperçu de sa compréhension réaliste de la condition humaine, en commençant par ceux qui le questionnaient et qui se dispersèrent un par un. Nous observons aussi la profonde humanité de Jésus dans son comportement avec cette malheureuse femme, dont il désapprouva certainement les péchés car il lui dit : « Va, et désormais ne pèche plus. » Jésus ne l’écrasa pas sous le poids d’une condamnation sans appel.
Et il en resta deux…
Reconnaître et mettre en relief le péché chez les autres signifie aussi se reconnaître soi-même comme pécheur ayant besoin de la miséricorde sans limite de Dieu.
Prêcher l’évangile de Jésus Christ sans connaître la nécessité d’une conversion personnelle profonde et le libre cadeau de la miséricorde de Dieu est un refus clair et net du message central chrétien de la conversion.
Dans son commentaire magnifique de l’évangile de saint Jean, [Io. Ev. tract 33, 5], saint Augustin écrit : « Le Seigneur, dans sa réponse, n’a ni enfreint la loi, ni perdu sa douceur ». Augustin ajouta qu’avec ces paroles, Jésus a obligé les accusateurs à se regarder, à s’examiner pour voir qu’ils étaient aussi pécheurs. Par conséquent, « il les a percés comme par une flèche aussi grande qu’une poutre, l’un après l’autre, ils se retirèrent. »
Lorsqu’ils furent partis, Jésus resta seul avec la femme. Il s’agit d’une scène poignante et provocante, décrite de très belle façon par Augustin par ces mots : relicti sunt duo, misera et misericordia. « Et il en resta deux…. la misérable et la miséricorde. » Je me souviens combien j’avais été secoué en lisant ces paroles d’Augustin quand j’étudiais l’évangile de Jean à l’Institut pontifical biblique de Rome.
Celui qui s’est penché pour écrire dans la poussière, a levé les yeux et a rencontré ceux de la femme. Il n’a pas demandé d’explications. Ce n’est pas par ironie s’il a demandé à la femme « Femme, où sont-il donc ? Alors, personne ne t'a condamnée ? » (v.10) la réponse de Jésus est bouleversante : « Moi non plus, je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche plus. » (v.11). De nouveau Augustin a observé: « Le Seigneur a condamné aussi mais les péchés et non l’homme, car s’il avait été le patron du péché, il aurait dit, « moi non plus je te condamnerai pas ; va, vis comme tu voudras ; sois en sécurité car je t’ai délivrée ; cependant, si tu pèches, je te délivrerai de toute ta punition. Il n’a pas dit cela. (Io Ev. tract. 33, 6) »
Notre réel ennemi est l’attachement au péché qui peut nous conduire à rater nos vies. Jésus renvoie la femme avec cette recommandation : « Va, et désormais ne pèche plus. ». Il lui pardonne pour qu’ « à partir de maintenant » elle ne pèche plus. Seuls le pardon et l’amour divins reçus avec un cœur ouvert et sincère nous donnent la force de résister au diable et « de ne plus pécher », nous laissant nous-mêmes envahir par l’amour de Dieu pour qu’il devienne notre force. L’attitude de Jésus devient un modèle à suivre pour chaque communauté qui est appelée à placer l’amour et le pardon au centre de sa vie.
Lutter pour le pardon
Qui sommes-nous à ce moment de notre itinéraire? Il y a tant de misère dans notre monde et dans notre Église, et les deux le monde et l’Église ont besoin désespérément de l’expérience de miséricorde – de communautés de miséricorde et de gens miséricordieux et compatissants. Mais cette miséricorde n’est pas une dilution du message de l’Évangile. C’est plutôt l’amour solide de Dieu pour nous, un amour pour lequel il vaut la peine de lutter chaque jour.
Je vous laisse avec les paroles de Sr Helene Prejean tirées de son livre très connu « La dernière marche ». Elles sont particulièrement appropriées à la lumière de l’évangile de ce jour et de notre marche de Carême pour ses points culminants dans notre combat quotidien pour le pardon et la réconciliation qui se trouvent au cœur de la vie chrétienne.
Lloyd LeBlanc se serait contenté que Pat Sonnier soit condamné à la prison à vie. Il n’est pas allé à l’exécution dans un esprit de vengeance, mais dans;l’espoir d’y entendre le condamné lui demander pardon. Pat ne l’aura pas déçu. Avant de prendre place sur la chaise électrique, il a dit : « Monsieur LeBlanc, je veux vous demander pardon pour ce qu’Eddie et moi ont fait. »
Et Lloyd a hoché la tête pour signifier que ce pardon était déjà accordé.
Quand il est arrivé au champ de canne à sucre avec l’adjoint du shérif pour identifier les corps, il s’est agenouillé près de son fils et il a récité le Notre Père. « Il était étendu par terre et les yeux lui sortaient des orbites, tous les deux, comme des billes! » Puis, arrivé à la phrase : « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés, » Lloyd ne s’est pas interrompu, il n’a pas hésité. Il en a prononcé les mots clairement, sans équivoque. Il a dit : « Qui que ce soit qui a commis cela, je lui pardonne. »
Cependant, la lutte a été dure pour surmonter sa colère et son désir de vengeance, il reconnaît. Et il reconnaît qu’il lui arrive d’éprouver encore ces sentiments, le jour de l’anniversaire de son fils surtout, et quand il pense à tout ce qu’il ne connaîtra jamais de lui ¬David : à 20 ans, David à 25 ans, David marié, David papa devant sa maison avec des enfants agrippés à ses genoux, David homme mûr, comme lui-même l’est aujourd’hui.
Le pardon n’est jamais facile. Il faut prier chaque jour pour l’obtenir et lutter pour le conserver et remporter la victoire.
Dead Man Walking. New York: Vintage Books, Random House, 1993, pp. 244-245