Trente-unième dimanche du temps ordinaire, Année C - 30 octobre 2016
Sagesse 11,22-12,2
2 Thessaloniciens 1,11-2,2
Luc 19,1-10
Le récit de l‘évangile d‘aujourd‘hui demeure toujours engravée dans ma mémoire… Et je me rappelle toujours un chant negro-spirituel de mon enfance qui commençait par ces mots « Il y avait un homme de Jéricho appelé Zachée. » Des années après, je visitais Jéricho à plusieurs occasions durant mes années d‘études universitaires en Terre Sainte, pour m‘évader de Jérusalem par une de ces journées hivernales humides, et pour profiter du climat modéré de Jéricho, ou encore pour savourer des dates, des mangues, des citrons et d‘autres fruits pour lesquels les marchés extérieurs de la vielle cité étaient renommés. Jéricho est appelée à juste titre Cité des Palmiers dans l’Ancien Testament. C’est en effet une oasis dans le désert !
Les gens du coin nous soulignent, à nous les étrangers l‘endroit exacte de la maison de Rahab. Elle était la fameuse prostituée de l‘Ancien Testament qui est parvenue à s‘intégrer dans la généalogie de Jésus. Sa demeure était devenue un bureau de comptabilité lors de ma dernière visite à Jéricho. Les locaux prennent du plaisir à montrer les ruines des murs que Josué avait démolis durant une des batailles notoires de l‘Ancien Testament qui ne se seraient jamais déroulées ! Le meilleur dans cette histoire sont les quelques 39 sycomores que Zachée avait grimpé pour entrapercevoir Jésus qui était de passage, et la maison du chef du village qui était un percepteur d’impots-devenu-saint !
La petite stature de Zachée
L’évangile d’aujourd’hui est l’une des scènes de repas de prédilection pour Jésus dans le Nouveau Testament. Le portrait de Zachée dépeint par Luc est détaillé et irrésistiblement charmant ! L’histoire du fameux percepteur d’impôts de Jéricho (Lc 19,1-10) est spécifique à l’évangile de Luc. On nous dit qu’il était le chef des publicains et qu‘il y était très opulent. Zachée démontre un contraste avec l’homme riche de Luc (18,18-23) qui est incapable de se détacher de ses possessions matérielles pour devenir un disciple de Jésus. Zachée, d’après Luc, illustre l’attitude correcte envers la richesse: il promet de donner la moitié de ses biens aux pauvres et est par conséquent le bénéficiaire du salut.
La description graphique de l’évangéliste est renforcée en le qualifiant aussi de « petit homme ». Sa petitesse est une sorte de petitesse qui est beaucoup plus dévastatrice et corrosive que le fait d’être de petite stature. Sa petitesse émerge de sa terrible image de soi qui résulte de l’attitude des autres envers lui. Ne sommes-nous pas plus vulnérables à ces moments dans nos vies ? Bien que membre d’un groupe largement méprisé, Zachée apparaît dans l’histoire d’aujourd’hui comme un homme fondamentalement honnête et humble qui cherche la vérité et est ouvert à la trouver là où il peut, même si cela signifie grimper le sycomore au sein d’une foule, juste pour entrapercevoir Jésus. Il représente ce personnage qui apparaît à plusieurs reprises dans les Écritures – l’étranger, la personne qui, quelqu’en soit la raison, regarde à partir du bord, mais doit toujours y rester. C’est sur le bord que nous le rencontrons, écarté par les autres, désespérément anxieux de faire partie de la foule, toujours en vain.
Lorsque le défilé s’arrête devant notre porche
Pourquoi Zachée est-il tellement résolu à attraper entrapercevoir Jésus ? Peut-être parce que Jésus est tout ce qu’il n’est pas ! Jésus est admiré, recherché, et surtout accepté par une grande foule. Si nous sommes terriblement honnêtes avec nous-mêmes, nous admettrions qu’à un moment donné dans notre propre solitude ou aliénation, dans notre réelle ou imaginaire non-acceptation ou non-amour, nous désirons nous identifier à l’acceptation apparente de quelqu’un d’autre. Ne sommes-nous pas souvent pris jusqu’au cou, comme Zachée l’avait fait dans son arbre, emprisonnés dans notre solitude, dans l’envie, la jalousie, l’apitoiement sur soi, et la paresse ? Et soudain, l’inattendu se produit. La parade s’arrête devant notre porche, et nous recevons une invitation avec des mots étonnants: « Je suis vraiment heureux de te voir ici », ou « Sortons prendre un café, tu a eu une dure journée », ou « Viens nous rejoindre, il n’est pas bon d’être seul », ou « Quand m’inviteras-tu chez toi ? … J’aimerais vraiment souper avec toi. » Et la liste s’allonge davantage… Une invitation conduit à la faveur la plus intime de l’hospitalité.
« Je dois demeurer dans ta maison aujourd’hui »
« Zachée, hâte-toi de descendre; il faut que j’aille demeurer chez toi aujourd’hui » (19,5). « Zachée »: Jésus appelle par son nom un homme méprisé par tous. « Aujourd’hui »: oui, ce moment a été le moment de son salut. « Je dois rester »: pourquoi « il faut » ? Parce que le Père, riche en miséricorde, veut que Jésus « cherche et sauve les égarés » (19,10). La repentance de Zachée est attestée par sa détermination à modifier ses anciennes habitudes, et se montre être un vrai descendant d’Abraham, le véritable héritier de la promesse de Dieu dans l’Ancien Testament. Sa reconnaissance de la place centrale occupée par Israël dans le plan du salut sous-tend la représentation par Luc de Zachée en tant que descendant d’Abraham, le père des Juifs.
Lorsque la faveur est demandée de Zachée et de ses semblables qui sont accoutumés à être évités et rejetés, Zachée et ses semblables sont étourdis par l’excitation. Les murs de Jéricho s’écroulent véritablement ! Peut-être pour la première fois, Zachée est accepté sans réserve ni condition. Et ceci est source de grande joie, et non pas de honte. Selon le style propre à Luc, il ya une fête ! Une fois de plus, les bavards sont choqués que Jésus aille à la maison – et ils en sont encore plus choqués, qu’il soit à la table – d’un pécheur aussi célèbre que Zachée. Comme Jésus s’assoyait à table parmi les gens de la haute société, il avait vu Zachée ressusciter des cendres et du tombeau de l’aliénation, la tromperie, la malhonnêteté, qu’il avait lui-même construit.
« Aujourd’hui le salut est entré dans cette maison »
Jésus déclare publiquement que « le salut est entré aujourd’hui dans cette maison ». C’est presque comme si Jésus dit au chef des publicains de Jéricho, et à travers lui, à chacun de nous, « Zachée, grimpe pas très haut dans ton arbre…et ne te cache pas de moi. Ne gaspille pas toute ton énergie en te concentrant sur ta culpabilité comme tu la perçois. J’ai besoin de te parler et de découvrir où tu t’es coincé toi-même. Ensemble nous trouverons une solution au delà de toutes des excuses et qui te mènera hors de ce labyrinthe. Regarde, l’arbre pousse. Je suis venu pour te sauver ! »
Morales de l’histoire
Au fil des ans, j’ai découvert plusieurs leçons dans cette histoire ancienne. L’une d’elles nous dit que quand il s’agit de l’amour de Dieu, nous devons d’abord déclarer notre perdition et notre vide pour commencer le processus à travers lequel nous nous retrouverons. Nous devons nommer et nous approprier les masques ainsi que le maquillage que nous portons avant que nous puissions voir le vrai visage. Nous devons vivre l’expérience de la mort qui est à l’œuvre en nous, nos cœurs, émotions, intellects, nos liens et le respect de soi afin de commencer le voyage à Jérusalem, la ville de la Résurrection. Et parfois, nous devrions cesser de nous apitoyer sur nous mêmes, arrêter nos plaidoiries, sauter en bas des arbres dans lequel nous nous cachions, donner la moitié de nos biens aux pauvres, et de rembourser ceux que nous avons trompé. Qui se soucie de ce que disent les critiques ? Lorsque le salut entre dans nos sociétés, nos communautés, nos foyers et nos cœurs, personne ne pourra jamais nous priver de ce précieux don.
La transformation de Zachée
Dans sa lettre aux prêtres écrite à l’occasion du Jeudi Saint 2002 [paragraphes 5-6], le Serviteur de Dieu le pape Jean-Paul II a écrit les mots suivants à propos du formidable récit évangélique d’aujourd’hui.
Tout est étonnant dans ce qui lui arrive [à Zachée]. S’il n’y avait pas eu, à un certain moment, la « surprise » du regard du Christ, il serait peut-être resté un spectateur muet de son passage dans les rues de Jéricho. Jésus serait passé à côté de sa vie, et non dans sa vie. Zachée lui-même ne se doutait pas que la curiosité qui l’avait poussé à un geste si singulier était déjà le fruit d’une miséricorde qui le précédait, qui l’attirait et bientôt le changerait au plus profond de son cœur (…).
Dans le récit de Luc, la tonalité du langage est frappante: tout est si personnalisé, si délicat, si affectueux ! Il ne s’agit pas seulement de traits touchants d’humanité. Il y a dans ce texte une urgence intrinsèque, par laquelle Jésus révèle définitivement la miséricorde de Dieu. Il dit: « Il faut que j’aille demeurer dans ta maison », ou, pour traduire encore plus littéralement: « Il est nécessaire pour moi d’aller demeurer dans ta maison » (Lc 19,5). Suivant la mystérieuse carte des routes que le Père lui indique, Jésus a aussi trouvé Zachée sur son chemin. Il s’arrête chez lui comme pour une rencontre prévue depuis le début. La maison de ce pécheur est sur le point de devenir, en dépit de tant de murmures de la mesquinerie humaine, un lieu de révélation, le décor d’un miracle de la miséricorde. Cela ne se produira certes pas si Zachée ne libère pas son cœur des liens de l’égoïsme et des racines de l’injustice perpétrée par escroquerie. Mais la miséricorde lui est déjà parvenue, offerte gratuitement et en surabondance. La miséricorde l’a précédé ! […]
C’est ce qui se produit chez Zachée. Se sentant traité comme un « fils », il commence à penser et à se comporter comme un fils, et il le manifeste en redécouvrant ses frères. Sous le regard plein d’amour du Christ, son cœur s’ouvre à l’amour envers le prochain. D’une attitude de fermeture, qui l’avait porté à s’enrichir sans prendre en compte les souffrances d’autrui, il passe à une attitude de partage, qui s’exprime dans un vrai et réel « partage » de son patrimoine, de la « moitié de ses biens » aux pauvres. L’injustice perpétrée au détriment de ses frères par escroquerie est réparée par une restitution au quadruple: « Si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus » (Lc 19,8). C’est seulement à ce moment que l’amour de Dieu parvient à son but et que le salut s’accomplit: « Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison » (Lc 19,9)
(Image : Zachée par James Tissot)